Que peut-on apprendre des acteurs de l’impact investing aux Etats-Unis ? (Partie 1)
Les États-Unis ont une longue histoire avec l’investissement à impact. Stimulé par un mélange de politiques publiques favorables, de philanthropie innovante et d’engagement communautaire. La croissance du marché s’est accélérée au cours des 10 dernières années, les institutions financières traditionnelles ayant répondu à la demande croissante des investisseurs pour les produits d’investissement à impact.
Un marché important mais qui mélange encore impact investing et ESG
Selon le rapport 2018 de l’USSIF sur les tendances d’investissement, 12 000 milliards de dollars, soit 26 % de tous les dollars d’investissement aux États-Unis, sont investis avec impact, principalement sur les marchés publics. Ce chiffre souligne néanmoins le mélange qui existe entre impact investing et ESG aux USA car le montant du rapport de l’USSIF est en réalité une combinaison des deux.
L’impact investing catalysé par la culture de la philanthropie américaine
Selon l’enquête du Global Impact Investing Network (GIIN) GIIN Annual Impact Investor Survey 2020 sur les investisseurs d’impact, les gestionnaires de fonds disent lever des capitaux liés à l’impact auprès de family offices ou de particuliers fortunés (cela est vrai pour 66 % des fonds interrogés), de fondations (63 %), de fonds de pension (37 %) et d’investisseurs particuliers (22 %).
Les États-Unis disposent également d’un vaste réseau de cabinets de conseil, d’incubateurs et d’accélérateurs, de réseaux professionnels, d’universités et de concours qui contribuent à faire progresser l’économie d’impact. Un soutien philanthropique important a permis le développement d’un écosystème d’impact investing solide. Parmi les principaux bailleurs de fonds figurent Omidyar Network, la Rockefeller Foundation, la Ford Foundation, la MacArthur Foundation, la Heron Foundation et la Sorenson Impact Foundation.
Toutefois, celui-ci se démocratise avec une vision finance first
66% des investisseurs à impact aux USA recherchent principalement des rendements ajustés au risque et au taux du marché. 19 % recherchent principalement des rendements inférieurs au marché, plus proches du taux du marché, tandis que les 15% restants visent des rendements plus proches d’un taux de préservation du capital.
Au cours de nos rencontres, nous avons remarqué une volonté de distinction entre philanthropie et impact investing de la part de nombreux fonds. En effet, ces derniers souhaitent vivement différencier leurs activités de celles des philanthropes auprès de leurs clients. Leur volonté est de convaincre des investisseurs, parfois conservateurs, de la capacité de l’impact investing à réaliser un double objectif d’impact et de retours financiers. C’est ainsi que la distinction entre “Impact first” et “Finance First”, assez présente en Europe, est peu acceptée aux Etats-Unis car elle sous-entend que l’un ou l’autre des positionnements favorise l’impact ou les retours financiers au détriment du second objectif.
Les grands acteurs de la finance classiques en marche vers l’impact investing
Ces 5 dernières années, aux Etats-Unis les grands acteurs de la finance classique que sont les grandes banques d’affaires ou encore les asset managers, développent des stratégies d’impact sur différentes classes d’actifs. À titre d’exemple, Goldman Sachs a acquis Imprint Capital, une entreprise spécialisée dans l’investissement ESG et d’impact, en 2015. Blackrock, le plus important asset manager du monde, s’est engagé à intégrer la durabilité à l’ensemble de ses investissements et agit activement dans le développement de l’écosystème en collaborant avec le GIIN ou des grandes universités américaines telle que Harvard. La banque internationale Citigroupe, qui a lancé son fonds à impact il y a un an, est un autre exemple des nouvelles stratégies qu’opèrent de nombreux acteurs de la finance américaine.
Ces différents acteurs agissent dans une perspective très “clients driven”. Ainsi, le développement de leurs stratégies d’investissements à impact est la conséquence directe de la demande croissante de leurs clients pour des produits d’investissements plus durables.
1/ Beyond Capital : le modèle innovant d’ “Equitable Ventures”
Beyond Capital est une société de gestion à impact fondée en 2009 qui investit dans des pays émergents en Afrique de l’Est et en Inde. Beyond Capital possède un fonds “non-profit” Evergreen (BC Fund) et a récemment lancé un autre fonds avec un modèle plus classique (BC Ventures) en 2020. L’objectif de Beyond Capital est d’améliorer la qualité de vie et de répondre aux besoins des populations et des communautés défavorisées.
Pour amplifier l’impact au niveau local, Beyond Capital a inventé un mécanisme appelé “Equitable Ventures”. L’Equitable Venture consiste à donner une part des bénéfices aux fondateurs des entreprises du portefeuille d’un fonds lorsqu’ils atteignent des étapes spécifiques. En partageant les bénéfices du fonds avec les fondateurs, Beyond Capital leur permet de devenir copropriétaires du fonds. Cela permet principalement d’empêcher que le capital ne fasse que transiter et qu’il n’entre et ne sorte du pays qu’au profit d’investisseurs étrangers. Ce mécanisme d’Equitable Ventures a d’autres avantages expliqués par sa créatrice Eva Yazhari dans cet article : lien.
2/ Bain Capital Double Impact : Private Equity et investissement à impact
Bain Capital Double Impact (BCDI) est un fonds de private equity à impact de plus de 1 milliard de dollars géré par un des principaux acteurs du private equity au niveau mondial : Bain Capital. Bain Capital a lancé ce fonds en 2016 et a réalisé 15 investissements en Amérique du Nord à ce jour. BCDI investit des montants de 20M$ à plus de 80M$ dans des entreprises à impact dont le business model répond à des enjeux environnementaux, de santé ou d’éducation. L’objectif de l’investissement peut être de deux types différents : scaler une entreprise à impact ou aider une entreprise à optimiser son impact. BCDI a ainsi la volonté d’apporter une véritable additionnalité via un accompagnement opérationnel pour réaliser ces objectifs.
Une fois l’entreprise en portefeuille, Bain Capital a développé une méthodologie d’accompagnement en 4 temps pour aider l’entreprise à se développer et à créer de la valeur ainsi qu’à démultiplier son impact : 100 Day Plan, Business Blueprint, Talent Blueprint and Impact Blueprint (lien).Par ailleurs, Bain Capital fait auditer son impact par un organisme extérieur appelé BlueMark.
Enfin, il est essentiel pour BCDI que l’exit ne se fasse pas seulement en prenant en compte les objectifs financiers mais aussi ceux d’impact. Pour cela, BCDI a développé une stratégie qui leur permet de garantir l’alignement de l’entreprise avec son impact après que celle-ci soit sortie du fonds. En effet, en plus de vérifier l’intentionnalité de l’acquéreur, BCDI fait signer des clauses spécifiques pour que l’entreprise vendue ne puisse pas dévier de son impact au profit d’intérêts financiers.
3/ Rockefeller Foundation : un fonds pour catalyser les pratiques innovantes de l’impact investing
Grâce à son travail d’octroi de subventions dans le cadre du programme Innovative Finance de la Rockefeller Foundation, la Fondation a entrepris en 2015 d’utiliser l’innovation financière comme un outil permettant d’accroître l’impact. Le programme Zero Gap a donc commencé par incuber des mécanismes financiers innovants ayant le potentiel de mobiliser des capitaux privés à grande échelle pour répondre aux Objectifs de développement durable (ODD). Ces mécanismes offraient une variété d’innovations : une répartition plus efficace des risques, une nouvelle disposition des parties prenantes et des actionnaires, ou une stratégie d’investissement révolutionnaire. Aujourd’hui, le portefeuille de subventions Zero Gap de Rockefeller Foundation compte près de 50 produits et solutions d’investissement dans diverses zones géographiques, secteurs et classes d’actifs.
En 2019, la Rockefeller Foundation s’est associée à la John D. et Catherine T. MacArthur Foundation pour créer le Zero Gap Fund d’une taille de 30M$. Le fonds le fonds déploie des capitaux catalytiques dans des mécanismes financiers à impact innovants et prometteurs. En fournissant des fonds essentiels pour permettre le développement de ces stratégies d’investissement innovantes, l’objectif de la Rockefeller Foundation est de contribuer à la croissance de l’écosystème de l’impact investing.
4/ Blackrock : l’additionnalité pour développer des stratégies à impact dans chaque classe d’actifs
Avec près de 10 000 milliards de dollars d’encours, Blackrock est le plus grand gestionnaire d’actifs à l’échelle mondiale. En 2021, 200 milliards de dollars ont été dédiés à des investissements présentés comme durables, comprenant des approches combinant les notions d’ESG et d’impact.
Pour développer des approches à impact à travers plusieurs classes d’actifs, Blackrock utilise comme critère principal l’additionnalité. En effet, pour Blackrock les investisseurs peuvent véritablement faire la différence avec intégrité, quelque soit la classe d’actif choisie, s’ils s’imposent une exigence d’additionnalité. Dans ce cas, il serait possible d’avoir un impact même en investissant sur les marchés cotés, un point qui fait encore débat aujourd’hui dans le monde de l’impact investing.
Blackrock a donc défini 3 formes d’additionalités allant dans ce sens :
- L’additionnalité par la contribution de l’investisseur : par exemple en procurant des conseils sur la stratégie d’impact, en mettant à profit leur réseau ou encore par engagement actionnarial.
- L’additionnalité par le business model de l’entreprise : l’entreprise propose-t-elle un produit ou un service qui n’aurait pas été proposé par un autre acteur sur un marché donné et qui va permettre de le transformer ?
- L’additionnalité de la classe d’actif : chercher à rendre son action additionnelle quelque soit la classe d’actif (par exemple en s’assurant lors d’un IPO que l’entreprise vendue ne déviera pas de sa trajectoire d’impact, ou encore, par l’apport de capital là où il en manque à un niveau sectoriel ou géographique).
5/ Nuveen : une stratégie d’impact sur les marchés publics
Nuveen est un des plus grands asset managers américain avec 1200 milliards de dollars d’actifs sous gestion investis dans de nombreuses classes d’actifs. Selon Nuveen, ce qui les différencie des autres gestionnaires d’actifs est l’intégration du principe d’impact dans leur processus d’investissement. Ils ont développé une méthode propriétaire leur permettant de quantifier les avantages environnementaux et sociaux de leurs investissements.
Pour Nuveen, investir sur les marchés publics est un moyen efficace de créer de l’impact. En effet, ils estiment qu’en comparaison avec les investissements privés, les titres publics offrent une tarification et une liquidité quotidienne. De plus, ils sont exposés à des opportunités d’investissement à impact nécessitant un investissement minimum bien inférieur aux marchés privés.
6/ Citi : les banques d’affaires américaines prennent le tournant de l’impact
En janvier 2020, Citigroup a lancé le Citi Impact Fund. Un fonds de venture capital de 200 millions de dollars investissant dans des startups tech à fort potentiel de croissance et intégrant un objectif de changement social ou environnemental. Le fonds investit dans des entreprises en early stage (Seed, série A et série B). Citi Impact Fund a choisi de cibler la phase early stage dans le but d’investir très tôt dans des startup tech aux solutions disruptives.
L’équipe de Citi Impact Fund rencontre encore certaines difficultés à mesurer l’impact des entreprises de son portefeuille du fait de la subjectivité qu’elle implique. Comme d’autres acteurs américains du secteur, Citi Impact Fund a choisi de se concentrer sur la mesure de l’impact global de son portefeuille. Ainsi certains investissements ayant un fort potentiel d’impact, mais un potentiel de retour sur investissement plus faible que la moyenne, peuvent être compensés par des investissements aux rendements financiers potentiellement plus élevés afin d’atteindre un équilibre impact/rentabilité à l’échelle du portefeuille.
7/ Le GIIN : définir des standards internationaux pour l’impact investing
Le Global Impact Investing Network (GIIN), est une organisation à but non lucratif de référence dans le secteur de l’impact investing. Très influente, son action vise à accélérer le développement du domaine par la recherche, la création de réseau, la mise en avant d’approches innovantes, la production d’outils de mesure de l’impact et le partage de ressources. L’objectif principal du GIIN est donc de favoriser l’allocation de capital aux secteurs de l’impact et de contribuer au développement de l’écosystème de l’impact investing.
Le GIIN a joué un rôle fondamental dans la construction de l’écosystème de l’impact investing au niveau mondial en travaillant sur deux enjeux clés du domaines : la définition de l’impact investing et la mesure de l’impact. A ce sujet, le GIIN a lancé en 2019, l’IRIS+ (Impact Reporting and Investment Standards System), un système complet qui permet aux investisseurs d’impact de mesurer, gérer et optimiser leur impact. Le GIIN travaille actuellement sur une base de données interactive pour les utilisateurs de leur outil, afin qu’ils puissent comparer leur performance d’impact et échanger sur leurs pratiques.